HUMANS: Cinq questions à Yaron Lifschitz
La troupe australienne Circa, l’une des plus reconnues mondialement dans le cirque contemporain, est de retour à Montréal après deux années d’absence pour présenter son majestueux spectacle Humans. Celui-ci présente une bande de dix acrobates qui explorent les limites physiques de l’être humain, et ce en offrant une performance de haute voltige où les tableaux se fondent les uns aux autres.
Nous avons rencontré Yaron Lifschitz, directeur artistique de Circa et metteur en piste de Humans.
À quoi fait référence le titre « Humans » ?
Je souhaite proposer un cirque qui se rapproche de l’être humain en tant que tel, une espèce fragile et tourmentée. L’effort que nous devons produire quotidiennement nous rend héroïques.
Je ne crois pas que la force et la vulnérabilité soient des opposés : nous sommes forts puisque nous sommes vulnérables. Nous sommes braves puisque nous avons peur.
Notre espèce n’est pas la meilleure pour accomplir des exploits physiques. Un pigeon vole bien mieux que le meilleur des trapézistes, par exemple. Ce qui rend néanmoins le trapéziste talentueux, c’est que les humains ne peuvent pas voler. Pouvoir demeurer dans les airs pendant à peine trois secondes est tout simplement incroyable, d’autant plus que nous savons que le trapéziste tombera s’il rate son numéro.
À travers toutes tes œuvres dirigées, en quoi se différencie Humans?
C’est une excellente question! J’adore ce spectacle puisqu’il est sobre tout en étant joyeux. C’est un spectacle qui plonge instantanément le public dans l’action. Nous tentons d’offrir une définition plus profonde de ce que représente l’être humain, tant avec ses facettes physiques qu’avec ses multiples connexions avec son environnement extérieur.
Je souhaite émouvoir le public : j’aimerais qu’il soit touché par la joie et la beauté que nous souhaitons transmettre. Notre travail connecte toujours à merveille avec le public, et c’est ce qui me rend très fier de travailler pour la compagnie Circa.
Le titre d’un livre de Daniel Mendelsohn représente à merveille ce que je pense de l’espèce humaine: How Beautiful It Is And How Easily It Can Be Broken. (Version française : « Si beau, si fragile ») Il est émouvant pour moi de voir ce que des créatures en apparences inoffensives peuvent faire de grandes choses.
Depuis une quinzaine d’années, Circa est à l’avant-plan de la vague de cirque contemporain australien, qui se révèle fort populaire dans le monde entier de par sa théâtralité et son dépouillement. Tu as été à l’avant-garde de ce mouvement via ton implication avec Circa. Tu proviens d’abord du théâtre : pourquoi t’es-tu tourné vers le cirque?
Je suis venu à travailler dans le cirque puisque le type de théâtre que je mettais en scène était considéré ennuyant! J’en suis venu à joindre la compagnie Circa pour tenter d’y insérer une certaine théâtralité.
Comme au Québec, l’Australie a une tradition de proposer du cirque « réinventé » depuis plusieurs années. Ce n’était néanmoins pas du cirque « contemporain » et dépouillé tel qu’on peut voir aujourd’hui : c’était davantage du cirque osé pour les adultes, ou du cirque pour faire rire.
Mon objectif à l’époque était de retirer une à une des couches de la mise en scène pour mettre l’emphase sur les acrobaties. Ce fut des essais et des erreurs, mais j’ai pu trouver ma voie dans le domaine au bout de quelque temps.
Maintenant, plusieurs compagnies australiennes reconnues internationalement telles que Gravity & Other Myths et Casus ont été très influencées par le style que nous avons proposé. Plusieurs personnes qui ont travaillé avec Circa ont d’ailleurs joint ces compagnies. Je trouve ça bien; tu veux créer une forêt, et non pas seulement qu’un arbre.
À quel degré crois-tu que le théâtre a influencé ton travail dans le cirque?
J’ai réalisé que je répliquais dans le cirque les mêmes choses qui faisaient que mes mises en scène au théâtre n’étaient pas très bonnes! Ce que j’aimais dans le théâtre n’était pas nécessairement le côté spectaculaire, mais plutôt la vivacité présente dans chaque moment sur scène. J’aime trouver le moment authentique, et le faire vivre de lui-même.
Quelle a été la réaction du public par rapport à ce nouveau style?
Nous avons accumulé les mauvaises critiques pendant 6 ans! Lors de la première de notre tout premier spectacle à la TOHU, une cinquantaine de personnes ont quitté avant la fin! Notre travail était plutôt bon, et nous avions plusieurs bonnes réactions, mais comme nous débutions quelque chose de nouveau, il était inévitable de faire quelques erreurs.
Quelques jours après cette première, un critique du journal Le Devoir nous a qualifié « d’extraterrestres proposant du cirque jamais vu auparavant » ! Néanmoins, ceci nous a aidés. C’était comme si les gens recevaient la permission d’apprécier notre proposition.
Je ne souhaite néanmoins pas donner automatiquement au public ce qu’il réclame. Je souhaite présenter des œuvres qui sont créées et interprétées avec courage et audace.
C’est comme avec un compositeur de musique classique, celui-ci peut écrire des symphonies que tu aimes, et d’autres que tu peux moins aimer. Mais tu ne demandes pas à Beethoven de faire sa Symphonie #3 la même chose que sa Symphonie #2 !
La création doit t’emmener vers une différente aventure : tu dois attendre d’être inspiré et tu dois créer de nouvelles choses tous les jours, bien que ça ne marche peut-être pas du premier coup.
Mais lorsque nous vous proposons un spectacle à Montréal, à la TOHU, ça marche! Peut-être puisque nous ne vous présentons que le bon matériel. (rires)
Humans est présenté à la TOHU du 5 au 10 novembre 2019. Billets en vente dès maintenant.