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Entrevue avec Shana Carroll

Entrevue avec Shana Carroll

La nouvelle création de la compagnie Les 7 Doigts sera jouée à partir du 14 novembre prochain à La TOHU. L’occasion pour nous d’interroger Shana Carroll, sa créatrice et metteure en scène. Une discussion sur les voyages en train, les contradictions du monde et le processus de création artistique.

D’où t’es venue l’idée de l’univers des trains ?

J’ai toujours été attirée par le symbole du train, parce c’est un rappel d’époques et territoires anciens, mais aussi une avancée vers le futur : les trains nous mènent vers des contrées qu’on n’a pas encore visitées. Quand j’étais jeune, il y en avait un qui passait à 10km de chez moi, et c’était comme un appel, quelque chose de profondément puissant. Et quand j’étais dans la vingtaine, je faisais beaucoup de spectacles en Europe, je passais beaucoup de temps dans les trains. J’étais fascinée par les différentes contradictions que cela impliquait, l’impression de de ne pas bouger du tout, d’être serré dans une boîte tout en avançant à une vitesse folle, et par la juxtaposition du paysage et du reflet de son visage dans la vitre. Il y a aussi l’élément de hasard : on a pris la décision de monter dans le train, mais en même temps on est coincé dedans, on n’a aucun contrôle sur la suite des événements.

 

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Andrew Miller

Comment as-tu appliqué ces idées sur scène pour Passagers ?

Je laisse mijoter l’idée, lentement, pour arriver à son essence profonde, qui pourra se résumer en une phrase. Dans ce cas précis, la mort de mon ami et collaborateur Raphael Cruz (en janvier 2018, NDLR) a été déterminante. J’ai la conviction que la création est l’antidote, le vaccin pour passer à travers les sujets les plus sombres. Seulement, cette fois-ci je me disais que rien n’avait de sens. Il n’y avait plus d’antidote possible. Puis, quelques semaines après la mort de Raphael, j’ai dit à Sébastien (Soldevila, un autre des 7 Doigts et mari de Shana, NDLR) que je voulais que le monde soit à nouveau un endroit magique, pas un endroit où meurent les jeunes hommes. Lui m’a répondu avec cette phrase déterminante : « Le monde, c’est les deux à la fois ». Et soudain toutes les contradictions qu’implique le train me sont revenues à la mémoire. Il n’y a pas de voie nécessairement heureuse ou malheureuse ; nous sommes sur deux voies parallèles, et nous essayons de suivre les deux en même temps. C’est ainsi que le train est devenu une réflexion sur cette dichotomie. Puis j’ai voulu y appliquer des chapitres : le départ, le transit et l’arrivée, sous toutes leurs formes, qu’elles soient agréables ou désagréables.

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Andrew Miller

As-tu aussi tiré ton inspiration des artistes présents sur Passagers ?

Mon idée originale forme la moitié du spectacle. L’autre moitié, ce sont les artistes qui l’apportent. Il faut qu’ils s’approprient le spectacle. À partir de mon idée de base, on ajoute leurs suggestions, et c’est comme ça qu’ensemble, on donne naissance à notre bébé. Je choisis des artistes que je connais et avec lesquels je veux vraiment travailler. J’apprécie particulièrement qu’un artiste ait de multiples talents, qu’il sache bien se mouvoir et bien jouer la comédie. Je veux aussi qu’il soit une bonne personne, avec une bonne âme. J’aime travailler avec ces artistes pour ce qu’ils sont en tant que personnes autant qu’en tant qu’artistes.

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Andrew Miller

De quelle manière le cirque québécois se différencie-t-il du reste du monde selon toi ?

Dans d’autres régions du monde, le cirque moderne est peut-être vu comme un contre-mouvement du cirque traditionnel. Au Québec, les gens font ce qu’ils veulent avec le cirque, traditionnel ou non. C’est beaucoup plus fluide, fusionnel. Pour moi, l’une des raisons pour lesquelles le Québec joue un rôle si important dans le monde du cirque, c’est qu’il y existe un fort désir d’art non parlé. La question du langage dans cette province est un sujet très sensible, une source de divisions. Le cirque, en revanche, unit les gens de tous horizons.

 

Que souhaites-tu à La TOHU pour son 15e anniversaire ?

 Depuis sa création il y a quinze ans, nous avons été présents chaque année, et la croissance de notre compagnie a été de pair avec celle de La Tohu. Je parlais du cirque québécois plus tôt, et je ne sais pas comment il aurait évolué sans La Tohu. Si le public d’ici est si éduqué en matière de cirque, c’est aussi parce qu’il a accès à ce genre de plateforme.

 

Interview réalisée par Matthieu Carlier

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